EXPOSE : Les immunités de juridictions (partie II)
Rappel du plan:
I. La compatibilité de l'immunité de juridiction avec l'article 6 CEDH
A. Une coordination entre les impératifs de l'ordre public international et le droit d'accès à un procès équitable
B. Un encadrement souple de la jurisprudence
II. Le rejet de l'article 6 CEDH comme fondement à la limitation de l'immunité de juridiction
A. Les controverses jurisprudentielles
B. La primauté du droit au tribunal
II. Le rejet de l'article 6 CEDH comme fondement à la limitation de l'immunité de juridiction
Si la jurisprudence admet la compatibilité de l’immunité de juridiction avec l’article 6 CEDH, la référence à ce droit fondamental n’a pas encore conduit à une restriction des immunités. Pourtant, cette question a fait l’objet d’hésitations jurisprudentielles.
A. Les controverses jurisprudentielles
Dans ses arrêts « Ashingdane c. Royaume-Uni » du 28 mai 1985 et « Al-Adsani c. Royaume-Uni » du 21 nov. 2001, la Cour EDH a toujours reconnu que l’article 6 devait s’effacer devant l’objectif des immunités de respecter la souveraineté de l’autre Etat et de sauvegarder la courtoisie et les bonnes relations entre Etats. Dans certains cas cependant, l’immunité de juridiction conduit indéniablement à un déni de justice.
La position de la CEDH fut à ce titre remis en cause dans deux arrêts de la CA de Paris. Dans une première affaire « Unesco c. Boulois » du 19 juin 1998, un litige opposait l’organisation internationale à un de ses agents ; un contrat liant les deux parties contenait une clause compromissoire. Face à l’invocation à la question du droit à l’immunité, la CA répond qu’accueillir la fin de non-recevoir opposée par l’Unesco conduisait inéluctablement à interdire à l’intimé de soumettre sa cause à un tribunal, ce qui est contraire à l’ordre public en ce qu’il constitue un déni de justice et une violation de l’art. 6§1 de la CEDH. Cette position a été confirmée par l’arrêt de la CA de Paris du 7 oct. 2003 « Banque africaine de développement c. M. Degboe ». Dans sa décision, la CA écarte l’immunité de l’organisation sur le fondement de l’art. 6 en estimant que « dans la mesure où le requérant ne disposait pas d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement ses droits, l’application de l’immunité de juridiction aurait pour effet de porter atteinte à la substance même de son droit à un tribunal ». Ainsi, pour la première fois, le juge français décidait d’écarter l’immunité de juridiction sur le fondement de l’art. 6.
Ce revirement jurisprudentiel a conduit une partie de la doctrine à s’interroger dans quelle mesure l’arrêt de la CA ne devait pas être interprété dans le sens d’une reconnaissance de la supériorité du principe du droit d’accès à la justice sur le droit des immunités.
B. La primauté du droit au tribunal
Les espoirs furent vite déçus à la suite du renvoie de l’affaire devant la Cour de cassation et de l’arrêt du 25 janvier 2005. Selon la Cour, « l’impossibilité pour une partie d’accéder à un juge chargé de se prononcer sur la prétention et d’exercer un droit qui relève de l’ordre public international constitue un déni de justice fondant la compétence de la juridiction française lorsqu’il existe un rattachement avec la France », en l’espèce, la nationalité du requérant. Dans son arrêt, la Chambre sociale intègre le droit à un tribunal dans la notion d’ordre public international. Cette décision revient à rendre l’art. 6 caduc comme fondement à la limitation des immunités de juridictions. La Chambre sociale semble donc opérer une substitution de moyen pour restreindre l’application des immunités de juridictions.
L’arrêt de la Cour de cassation peut apparaître regrettable. Non seulement, le juge français prive l’article 6 de son application mais en plus, le droit d’accès à un tribunal comme notion d’ordre public international est déjà consacré par l’art. 8 de la Déclaration universelle de Droits de l’Homme de 1948 et par la jurisprudence de la CEDH dans son arrêt « Golder » du 21 fév. 1975. Enfin, le rejet de l’art. 6 pose certaines difficultés. La plus marquante est que si la jurisprudence retient l’inapplicabilité de la convention européenne en matière d’immunité de juridictions, l’exercice du pouvoir juridictionnel du juge dépend des liens que le for entretient avec le litige, or, on peut douter du caractère suffisant du lien de nationalité comme seul lien de rattachement (cf affaire Degboe).
Conclusion : l’évolution récente de la jurisprudence montre que la référence de l’art. 6 CEDH ne suffit pas aujourd’hui à fonder la restriction au droit des immunités de juridictions.
J'espère que ces éléments de présentation sont clairs, sinon n'hésitez pas à poser des questions.
A bientôt.